Les conséquences d’une simple promenade
Durant l’été 1964, un Bruxellois séjourne à l’auberge de la Baraque Michel. L’hôtelier, Charles Bodarwé, discerne vite les centres d’intérêt de ce professeur d’histoire diplomatique, passionné d’art et d’histoire, et lui conseille une promenade jusqu’aux ruines d’un vieux château médiéval non loin de là. Obligeant, il s’offre même à le guider. Une fois sur place, Jean Overloop, car il s’agissait de lui, tombe immédiatement sous le charme.
Très vite, c’est à dire en 1965, celui que l’on allait nommer le Professeur obtient la vente des ruines par l’État Belge à une ASBL qu’il vient de fonder, le Conseil de Défense du Château de Reinhardstein et de la Région de la Warche.
On pourrait penser que, d’emblée, Jean Overloop a eu l’idée de reconstruire le château. Il semble que non, même s’il avait déjà participé au sauvetage de divers sites menacés dans la région bruxelloise, et notamment de la chapelle de Nassau lors de la construction de l’Albertine. Toujours est-il qu’en 1969, il se lance dans ce chantier fou.
Fou ? Que l’on en juge : il a fallu tout d’abord dégager les fondations, manipuler à l’aide de simples brouettes 60 tonnes de pierres éboulées… et entamer une reconstruction la plus plausible possible malgré le peu de sources disponibles. Jean Overloop a fait preuve pour la reconstruction d’une sensibilité, d’un sens esthétique hors du commun : quand on sait qu’il n’a pu se baser que sur l’analyse des vestiges, sur les dessins de Mathieu Xhrouet et sur l’observation d’autres châteaux de l’Eifel, on est confondu d’admiration tant le château actuel paraît "vrai". Certes, si les bâtiments ont certainement retrouvé la disposition et l’allure générale des originaux, ils ne peuvent s’en prétendre l’exacte reproduction ; mais l’édifice a peut-être gagné en puissance évocatrice ce qu’il a perdu en authenticité car, loin de constituer un simple pastiche, il se révèle l’œuvre d’un véritable artiste.
La fortune sourit aux audacieux : les dessins de Mathieu Xhrouet ayant été réalisés après la destruction du donjon par les troupes de Louis XIV, on n’avait aucune idée de l’ancien aspect de celui-ci. Mais, par chance, il subsistait à Comblain-au-Pont une tour dans laquelle on pouvait voir un "donjon-frère", la tour de Poulseur, antérieure à notre château mais passée en 1388 à la famille de Waimes-Reinhardstein dont elle a même retenu le nom (il y a donc un autre Reinhardstein, dominant l’Ourthe, celui-là). Relativement bien conservé, ce donjon a fourni à Jean Overloop certains détails dont le modèle de la bretèche. Un jeu de miroirs, en quelque sorte.
« Telle est l’Aventure »
Cette vieille devise de la famille Overloop semble prédestinée car, si tout chantier est une aventure, celui-ci l’a été particulièrement.
Tout d’abord, pour rebâtir, Jean Overloop a tenu à réutiliser les pierres d’origine car il les croyait animées d’une vibration particulière. D’autres étaient nécessaires car les pillards étaient passés par là. Pour respecter l’esprit du lieu, le Professeur les a choisies dans les alentours : arkose de Waimes, schiste de Weywertz... Aux plafonds, des troncs provenant de Xhoffraix obtenus grâce à Albéric Rogman, ingénieur des Eaux et Forêts en charge du cantonnement de Malmedy et soutien de la première heure (son fils Emmanuel a marché très tôt sur ses traces, a participé notamment à la reconstruction de la tour Salamandre et est aujourd’hui président de l’ASBL).
Car, à côté de son aspect matériel, la reconstruction a été une extraordinaire aventure humaine : tout seul, Jean Overloop ne pouvait évidemment parvenir à rien. Il a donc passé contrat avec des maçons locaux assez sûrs d’eux – ou assez téméraires – pour rebâtir les bâtiments les uns après les autres. Dans l’ordre : le Pallas (1969-70), la tour de la Chapelle (1971-72), le donjon et sa galerie suspendue (1972-73), la tour Salamandre (1980-85) et enfin la maison du Bailli (1988-92). 23 ans ont donc été nécessaires pour parvenir au résultat actuel, même si l’inauguration en présence du prince et de la princesse de Metternich avait déjà eu lieu en mai 1973.
Ce fut, comme on s’en doute, un chantier hors normes : outre la maçonnerie, il fallut par exemple poser cinquante poutres de plus de dix mètres de long en marchant sur les murs ! Les courageux entrepreneurs successifs méritent donc de passer à la postérité : Joseph Maréchal, l’entreprise Herbrand, Clément Dethier, Jean Leroy (qui a considéré que la tour Salamandre était la plus belle réalisation de toute sa carrière), José Latour et les menuisiers Adolphe Lecoq et Jean-Louis Honnay.
Mais le Professeur, comme nous l’avons vu, a également pu compter sur des bénévoles séduits par son projet, au premier rang desquels Clément Defossa qui, durant toutes ces années, a partagé son temps entre sa profession de géomètre-expert et le suivi des travaux : en effet, le Professeur était absent les jours de semaine, retenu à Bruxelles par ses obligations professionnelles. Sans cette étroite collaboration entre les deux hommes, rien n’aurait été possible. Après le décès du Professeur, c’est Clément Defossa qui a assuré pendant plusieurs années sa succession à la tête du château.
Au fur et à mesure, de nombreux éléments architecturaux anciens ont été intégrés avec à-propos, conférant ainsi aux murs neufs le supplément d’âme qui leur faisait défaut. Pierres et panneaux gothiques, portes espagnoles, sculptures diverses contribuent à créer un véritable écrin pour les riches collections présentes partout dans le château.